1. Naissance de l’élevage bovin
Aurochs, grotte de Lascaux.
Entre 14000 et 7000 avant J.-C. les chasseurs-cueilleurs deviennent progressivement agriculteurs-éleveurs en se sédentarisant. Si le premier animal domestiqué est le chien, il semble que la domestication de l’Aurochs, ancêtre du taureau et de nos bovins domestiques, aurait débuté il y a environ 9000 ans, au Proche-Orient et au Pakistan. Dans les Alpes, la révolution néolithique débute il y a moins de 6000 avant J.-C. L’élevage du bœuf est attesté dans l’abri de Balme-Rousse à Choranche dans le Vercors, vers 4900 avant J.-C. Cependant les premiers déboisements en vue d’une exploitation pastorale ne sont attestés qu’au second millénaire. À la fin de l’âge du bronze, la mise en valeur agricole de l’étage montagnard en 1000 et 1600 m est accomplie et de fait le pastoralisme en haute montagne se développe. Les gravures rupestres de la vallée des Merveilles (Mercantour) et de la Valcamonica (haute Vallée de l’Oglio) représentant des signes cornus, des attelage de bovidés, et la conduite par des hommes nus d’araires tirés par des bovins pour le labour atteste d’un élevage plus intensif. Le développement des cités dans le monde romain favorise des débouchés pour les produits de l’élevage. L’élevage bovin alpin au début du premier siècle après J.-C est reconnu par Pline l’Ancien, dans son Histoire naturelle. L’auteur souligne « qu’il ne faut pas mépriser le bétail de médiocre apparence, car les vaches des Alpes, malgré leur petite taille, donnent beaucoup de lait ». D’ailleurs, leurs fromages sont consommés jusqu’à Rome !
Signes cornus, Mont Bego. Moulage en résine polyester, Coll. Musée des Merveilles.
2. Les bovins au Moyen Âge
Pendant longtemps, on a cru que la faible valeur des pâtures, les rochers, les pentes ne convenaient guère aux gros bétails. On pensait également que les prairies de fauche se limitant aux terres irriguées ne suffisaient pas à produire suffisamment foin pour permettre un élevage bovin conséquent. Pourtant au Moyen Âge, le nombre de bovin est plus important qu’au XIXe siècle, alors que le nombre d’ovin reste stable. En 1407 à Digne, on dénombre 340 têtes de bovins contre 60 environ au milieu du XIXe siècle. Dans la baillie de Castellane, le cheptel bovin des 28 communautés, en 1471 était le double de celui de la fin du XIXe siècle. Dans le quart des villages composant les baillies de Castellane et de Guillaumes le nombre de bovins est supérieur à deux par maison et dans 8 autres localités la moyenne s’établit à une bête à corne par maisons. À Digne apparaissent de gros troupeaux jusqu’à 80 têtes partagées entre cinq gros propriétaires.
Dans la Vésubie, à Utelle, Roquebillière et Saint-Martin des ordonnances communales témoignent d’une attention particulière portée aux vaches laitières et aux bœufs de labour. Pour ces derniers, on a parfois gardé la meilleure pâture. En 1461 est réaffirmée à Saint-Martin la coutume pour le gros bétail, d’ouvrir les prés à la dépaissance commune après la seconde coupe de foin appelée regain. À Roquebillière en 1476, il est prévu de protéger les paillets (tas de foin) contre les gros animaux jusqu’à la Noël. Ce qui confirme, leur présence en plein air au début de l’hiver. Dans le Verdon, à Moustiers, des prairies ou des terrains en friches (gast) réservés aux bœufs de labour sont interdits aux troupeaux d’autres espèces animales.
Dans plus de 90 % des cas on élève plus de bœufs que d’ânes et de mulets pour le labour.
À gauche : Saint Luc, détail de la chapelle Sainte-Érige à Auron, XIIe siècle. À droite : détail de la chapelle San Bernadino de Pigna. Peinture de J. Baleison, 1482. L’importance des bovins au Moyen Âge est refletée à travers leur présence dans l’iconographie, ici saint Luc représenté sous la forme d’un bœuf.
Nativité, Lucéram, chapelle Notre-Dame de Bon Coeur, J. Baleison, 1480.
3. Labour
« Ici ils domptaient des bœufs à l’âge de un an. Une fois domptés, on les vendait. Ils vendaient des bœufs qui avaient maximum quatre ans. Ils les vendaient surtout dans le Var pour labourer les vignes ». M.G. à Ascros.
Labour à Beuil, vers 1920. Coll. Boulay.
La traction des araires avec des bœufs de labour ou des vaches a dominé jusqu’à la veille de la Grande Guerre et s’est maintenue tardivement en Vésubie et dans le Moyen Var. À Ascros et à La Penne, les habitants achetaient des bœufs jeunes qu’ils dressaient au labour durant une année avant de les revendre à la foire suivante. Auxiliaires de l’agriculture, les bovins fournissaient un fumier abondant et tractaient aussi les charretons. Toutefois, seuls les cultivateurs les plus riches en possédaient. En 1886, on recense 1425 bœufs pouvant travailler dans l’arrondissement de Puget-Théniers et 2993 vaches souvent employées au labour mais aussi élevées pour donner naissance à un veau par an destiné à la vente et pour fournir du lait pour la maisonnée dans le Moyen et le Haut-Var. Dans la Vésubie, la production laitière était essentiellement transformée en fromage.
Progressivement, les bœufs de labour ont été supplantés par les mulets, qui étaient autrefois essentiellement réservés au portage. On adopta alors une technologie d’attelage où le système du palonnier et du collier d’épaule (plutôt conçu pour une seule bête) remplaça l’imposant ensemble timon-joug (en général adapté pour un attelage double). Dans la région on retrouve des jougs plus légers que dans le reste du pays, les terrasses cultivables étant fort étroites, il faut pouvoir démonter facilement l’ensemble pour tourner.
Joug simple. Provenance : Valdeblore. Coll. P. Graglia.
À gauche : Joug double, pin sylvestre. Provenance Vallée de la Roudoule. À droite : Joug double. Provenance Var. On retrouve ce modèle dans le reste de la France mais dans la région on préfère un modèle plus léger.
À gauche : Muselière en osier, muraou, permettant d’empêcher l’animal de manger pendant le travail. Coll. Roudoule. À droite : Fer à bœuf orthopédique. Ce fer a été conçu spécialement pour le sabot de la bête. Coll. Roudoule.
4. Races alpines
Plateau de Beuil (A.-M) La foire, une des plus importantes de la région, début XXe siècle. Il pourrait s’agir au premier plan d’une Buienque.
La Buienque, originaire de Beuil, formait une race locale de plus petite taille que la Tarine. Elle était répandue dans l’ensemble des vallées entourant le village. Très vive, elle pouvait aussi servir au labour. Très agile, aux sabots petits, elle pouvait se déplacer dans les espaces les plus escarpés de la montagne, contrairement à la plupart des vaches qui, d’ordinaire, sont peu appropriées aux fortes pentes. Très appréciée, elle produisait environ 12 litres de lait par jour, rendement honorable pour l’époque (contre environ 20 litres pour une Holstein de nos jours). Dans les vallées de la Tinée et de la Roya, on trouvait aussi des vaches Piémontaises à la robe blanche bien adaptées aux alpages et plutôt spécialisées pour la viande.
Il existait également des races de vaches dites croisées, bien que l’on portait peu d’attention aux performances et à la sélection. Ces races étaient très rustiques et produisaient peu de lait. Lorsque la production de blé diminua au profit du fourrage, les paysans, disposant de plus de foin, recherchèrent, parfois même jusqu’en Savoie, des Tarines pour augmenter leur cheptel. La plupart du temps les transactions se faisaient à la foire de Beuil qui était la plus réputée. Au cours du XXe siècle on adopta l’Abondance et la Montbéliarde qui composent les troupeaux de vaches laitières de la plupart des éleveurs contemporains. Les éleveurs de vaches allaitantes favorisent pour la production de viande les vaches Charolaises et Limousines bien que l’Aubrac soit à la mode !
À gauche : Tarine, éleveurs N. Guillaumot et Y. Buyse, Saint-Martin-d’Entraunes. À droite : Abondances, éleveur Didier Gastaut, Ascros.
5. Quelle vacherie !
À la fin du XIXe siècle, l’économie des hautes vallées alpines est durement affectée par l’exode rural. Pour l’enrayer de nombreux villages, sous l’impulsion de l’État créent des sociétés de coopératives visant à professionnaliser la production fromagère. On envisage même la production de gruyère ! Avant la Grande Guerre et a posteriori plusieurs vacheries auxquelles on adjoint des fromageries ou fruitières sont bâties. L’architecture des vacheries est normée. Celle de Vignols, comprend deux bâtiments prévus pour 120 vaches. Durant l’estive, les vaches des sociétaires sont confiées à un gouverneur qui emploie berger, fromager et homme de peine. Cela permet aux paysans de dégager du temps pour la production de céréales, de fourrages et de pommes de terre, tout en assurant la transformation du lait en fromage. Jusqu’ici, les éleveurs de vaches vendaient à des maquignons les jeunes bovins élevés jusqu’à épuisement du lait de la mère, et se limitaient à la production domestique de lait, de fromage et de beurre.
La vacherie de Vignols. Dessin de Jean-Benoît Héron.
Le fonctionnement d’une vacherie
Un économiste ou gérant, est désigné à tour de rôle parmi les éleveurs du village. Il embauche trois hommes pour la saison : lou pastre chargé de conduire les vaches, lou fruchier ou fromager, qui faisait égalment la cuisine, et l’ome de peno chargé de nettoyer les étables, d’aider à conduire les vaches, d’aller chercher du bois. L’économiste avait en charge la tenue des comptes, le renouvellement du matériel pour l’année suiante, le recrutement et le paiement des travailleurs, l’évaluation des pâturages et le ravitaillement chaque samedi. Pour dédommager les propriétaires à la fin de l’estive, le gérant détermine la quantité moyenne de lait produit par chaque vache et à l’aide d’un barème en fonction des saisons il calcule le décal ou part de fromage dévolue à chaque propriétaire. Pour cela on procède à deux pesées du lait matin et soir, l’une en juillet et l’autre au mois d’août.
Une journée à la vacherie « Les vaches si vous n’êtes pas assez bon, elles retiennent le lait, elles ne vous le donnent pas. » P. éleveur.
À l’intérieur de la fruitière de Vignols, vers 1950. Coll. Musso. « Le chaudron il brillait, vous pouviez manger dedans ». C. R. éleveur
Au lever du jour jusqu’à 8h, chacun des trois hommes trait 35 à 40 vaches. La traite se fait à l’aide de lampes acétylènes, moins inflammables que des lampes à pétrole. Un fois la traite terminée, pendant que le fruitier fabrique fromage, beurre et brousse, le berger et l’homme de peine détachent les vaches. Peu après, l’homme de peine nettoie la vacherie à grande eau, par la tranchée centrale alimentée par le canal. Le soir, les vaches sont à nouveau traites par les trois hommes.
6. Lou Froumaï
Emprésurer
Une fois la traite terminée, le fruitier augmente la température du lait pour qu’elle atteigne celle de la vache, 37 degrés. Il déplace le chaudron plein de lait sur le foyer à l’aide d’un palan. Il y ajoute la présure, contenant des substances coagulantes obtenues à partir de l’estomac du veau, et tourne le lait à l’aide d’une grande louche.
Décailler
Après un repos d’une heure, le caillé est formé. Il est alors prêt à être « malaxé », « battu », à l’aide d’un fouet ou batouire fabriqué en bois souple et léger (églantier, noisetier, sapin) pour en faire sortir le petit lait.
Rassembler le caillé
Le caillé est égoutté à l’aide d’une étamine disposée dans le chaudron. À l’aide d’une louche ou escoumouiro, Le caillé est rassemblé dans des moules en bois au fond percé appelés faissèls, où l’on a disposé une étamine appelée rairolo. Il est bien tassé avec une cuillère. Aujourd’hui, on y ajoute des poids.
À gauche : Faisselle, pin cembro (elve). Coll. particulière. Au milieu : Faisselle, céramique glaçurée. Coll. particulière.
À droite : faisselle métallique, faissèl (Tinée). Coll. Roudoule. Avec les vacheries la production de fromage s’industrialise peu à peu et on passe d’objets artisanaux comme la faisselle en pin à une faisselle en fer blanc de fabrication industrielle.
Affiner
Après un jour environ, le fromage bien égoutté est démoulé et disposé dans la sombre pièce d’affinage, selon un ordre correspondant à la saison du fromage. Ces tomes de 15 à 20kg sont retournées tous les jours sur les étagères en épicéa (bois neutre), un peu de gros sel est disposé sur leur surface pour une meilleure conservation. Dans la production domestique, le fromage était posé sur un lit de feuilles de noyer pour empêcher le développement des vers. On évaluait la qualité du fromage à sa croûte, qui doit être mince et comporter de petits points rouges. Le fromage devait être gras, gonflé en son centre, « pompeux » au lieu d’être plat.
Vendre
Les fromages étaient pour la plupart consommés par les éleveurs. Ils en vendaient quelques-uns aux niçois de passage. « Oh ! ce n’était pas difficile de se débarrasser du fromage d’octobre, ils venaient le chercher sur place. » Odette Donadio, ancienne éleveuse roubionnaise. Pendant l’estive, de rares éleveurs gardent parfois une vache pour vendre du lait aux touristes de passage au village.
Presse à fromage. Coll. Philippe Graglia.
7. Lachau Burre Brousso
Petit lait, Lachau Avec le lactosérum ou petit lait, résidu du lait après coagulation, on peut obtenir plusieurs produits. D’ordinaire, on enlève la fleur du lait ou première crème, obtenue lors de la chauffe qui sera barattée pour donner du beurre. À la vacherie, pour obtenir des fromages riches en matière grasse, cette crème n’était pas retirée.
Vacherie de Vignols. 1. roue à aubes, 2. baratte, 3. écrémeuse, 4. sac à brousse, 5. bac à brousse. Dessin de J.-B. Héron.
Le beurre, Burro Le petit lait qui contient encore 5g par litre de matière grasse après extraction du caillé est utilisé pour la fabrication du beurre. Une écrémeuse (1) soutirait la dernière crème du petit lait. On transformait cette crème en beurre dans une baratte (2). La vacherie produisait environ 30kg de beurre par semaine.
(1) Ecrémeuse industrielle. Coll. Musée du lait, Saint-Etienne-de-Tinée.
À gauche : Homme maniant une baratte manuelle. (2) À droite : Baratte de type industrielle. À la vacherie de Vignols, ce type de baratte était entraîné par le moulin à eau.
La brousse, Brousso La brousse, ce fromage fermenté, différent du brous composé de restes de fromages, est obtenu par recuite du petit lait qu’on faisait bouillir durant environ une heure. Lorsque le petit lait bout, on y jette un peu d’eau fraîche pour le calmer. On peut favoriser la floculation en ajoutant un mélange de vinaigre et d’oseille sauvage ou de petit lait acidifié appelé bouono. On enlève ensuite l’écume obtenue, qui est placée dans des sacs de toile fine suspendus au plafond (4). Après 24h d’égouttage, elle est mise à fermenter dans un bac en bois (5). Par la suite, elle est conservée dans des des bocaux recouverte d’un filet d’huile. Séchée, elle donne le ceras, râpé sur les pâtes.
8. Li Pouorc
« èro encaro el lou pu tranquille, el que si pauvavo toute lou journ ! ». A. Ramin
Présentation des cochons sur le pont de Vignols
Une fois la brousse tirée du petit lait, celui-ci ne contient plus de matière grasse. Alors nommé bouire, il est donné aux cochons. Au hameau du Vignols, les cochons « pâturaient » sans être gardés, allaient parfois divaguer dans les champs de pommes de terre, ce qui provoquait la fureur des cultivateurs. À la fin de l’estive, les gérants des vacheries les vendaient aux enchères.
« On les tuait en hiver. Leur goût incomparable a laissé quelques souvenirs. L’herbe les purgeait, et le petit lait ça fait que le cochon il devenait gros mais il ne s’engraissait pas. Mais après, quand on les mettait au grain pour les engraisser, ça faisait des cochons formidables. Parce que courir comme ça en pleine nature ça leur faisait faire du rouge, du muscle. » P., ancien éleveur roubionnais. « Ah, ils mangeaient l’herbe, ils buvaient le lait ! Et ça c’était leur nourriture. C’était la première qualité, des bêtes qui étaient élevées dehors, au lait, et nature. » O., ancienne éleveuse roubionnaise
Cochons nourris au petit lait à la vacherie d’Isola. Coll. E. Clary. Fonds des archives départementales des Alpes-Maritimes
9. La collecte du lait
Lou Rechampage dai lach Transport du lait à Roure en 1981. Coll. Abbé Reboul
Des étables les plus éloignées des hameaux, le lait est transporté à dos d’homme ou éventuellement sur un bât de mulet. Que l’on ne se trompe pas, nul n’est éleveur bovin de profession, il s’agit encore une fois d’un complément d’activité. Les bidons de lait, en fer blanc étamé, sont d’une contenance de 10 litres. Rares sont ceux qui possèdent plus de deux vaches. La forme du bidon épouse le dos. Deux lanières de cuir permettent le portage. Ces bidons sont nominatifs et l’on n’a pas manqué de demander au ferblantier qui les réalise de graver une plaque identifiant le propriétaire.
Au point du jour, les bidons sont regroupés sur la place du village. Les propriétaires d’un char à banc se relayent pour descendre à la coopérative la production locale. Par la suite l’autocar prend le relais. On regroupe alors la production locale dans des bidons plus importants, et on inscrit sur un registre les quantités amenées par les sociétaires. Des contrôles ont parfois lieu pour éviter que l’on dilue le lait avec de l’eau ou encore qu’on le remplace par du lait de chèvre.
Transport du lait dans les années 1930
Câbles à lait
Au début du XXe siècle, pour éviter la corvée de lait, on construisit plusieurs câbles à lait. On en compte trois dans le Val d’Entraunes. Le premier relie Enaux à Villeneuve, le deuxième entre Les Filleuls à Saint-Martin permettait à M. Curnier de faire passer ses bidons lorsqu’une crue du Var rendait la passerelle de bois hors d’usage. D’abord manuel, le câble a été amélioré par son fils qui installa un moteur de voiture et l’équipa de deux vitesses.
À droite : Câble à lait des Filleuls
Le dernier entre Bouchannières à la Ribière a été financé par les éleveurs du hameau. L’investissement était moins coûteux que le transport à dos de mulet. Dans la Roudoule, un câble reliait Mahubi à Léouvé. Il fut en activité jusqu’aux années 1970 avant d’être démonté et réemployé pour le transport du bois.
Câbles à lait de Bouchannières. Imaginé en 1908, achevé en 1923, électrifié en 1938. Il a cessé de fonctionner dans les années 1980. Fonds Roudoule.
10. Coopératives laitières
Coopérative laitière de Guillaumes, début XXe siècle. Coll. Boulay.
Entre la fin du XIXe et le début XXe siècle, les paysans frappés par la baisse des cours des céréales et l’importation massive de farines étrangères, accusèrent une production excédentaire invendable. Poussés par la précarité de leur situation, ils optèrent pour de nouveaux choix. La luzerne et le sainfoin furent alors semés sur les terres céréalières.
Les cultivateurs du Moyen et du Haut-Var se tournèrent vers la filière laitière en créant des coopératives laitières. Ils s’inspirèrent du succès des fruitières de Roquebillière (1888), de Sospel et de Moulinet. Le rendement journalier de celle de Moulinet (jugé dérisoire de nos jours) s’élevait en 1902 à 1230 litres de lait pour 889 vaches !
L’objectif était de produire du lait « pasteurisé », du fromage et du beurre pour les commercialiser sur le littoral par le biais de la Compagnie Ferroviaire Sud France pour l’acheminement et de la centrale laitière de Nice (créée en 1933) pour le traitement hygiénique et la distribution. En 1929, la production dépassait 2,4 millions de litres pour les cinq coopératives laitières des Alpes-Maritimes (Guillaumes, Puget-Théniers, Belvédère, Saint-Sauveur, Sospel). Mais dans les années 1960, les producteurs furent confrontés cette fois à l’effondrement du prix du lait, portant un coup d’arrêt à l’économie laitière locale.
À gauche : Instruments servant pour le contrôle du lait. Coll. Musée du lait, Saint-Etienne de Tinée. Don de M. Perrin (ancien contrôleur). Au milieu : Lot de mesures. Coll. Musée du lait, Saint-Etienne de Tinée. À droite : Panneau réglementaire pour la vente du lait cru. Ce panneau devait être placé à l’entrée de toute étable produisant du lait pour la vente. Cette « patente sanitaire » était délivrée après visite et contrôles par les services vétérinaires qui effectuaient un contrôle de dépistage des maladies contagieuses. Coll. Roudoule.
11. Peau de vache
La tannerie de Puget-Théniers
Au début du XIXe siècle, la ville devient un centre important de l’industrie du cuir dans le comté de Nice. Au cœur de Puget-Théniers se trouvait une tannerie qui traitait exclusivement les peaux de bovidés venant de l’abattoir dans les années 1930. Le rez-de-chaussée était occupé par d’énormes tonneaux et bassins dans lesquels les peaux trempaient, avant d’être raclées, rincées dans une chute d’eau et traitées au tanin. Les eaux usées se déversaient dans la Roudoule. Aux étages se trouvaient les séchoirs et les appartements. La tannerie employait 10 à 12 ouvriers dont 4 à 5 racleurs. L’atelier fut réquisitionné pendant la seconde guerre mondiale par l’armée italienne, puis repris son activité jusque dans les années 1960.
Fabriquer un bât en peau de veau
Perçage de la peau et de la paille de seigle pour retrouver les trous des arceaux du bât. Jean Ros, bourrelier à Puget-Théniers. Coll. A. Carenini.
Le bourrelier de Puget-Théniers, Jean Ros, quant à lui achetait des peaux de veaux directement au boucher du village lorsqu’il en tuait. Il fallait que les veaux soient âgés de deux ou trois mois, pour que leurs peaux recouvrent les bâts qu’il fabriquait. Le boucher les salait pour les conserver. Jean Ros les lavait dans le torrent de la Roudoule puis les pendait à un platane en face de la boutique pour les faire sécher.
Il cousait ensuite la peau au bât. Il utilisait une aiguille spéciale lui permettait de coudre avec une ficelle. Il fallait cambrer la peau pour éviter que le bât ne se déforme. Une fois la peau en place sur le bât, il la découpait. Il gardait le poil, pour éviter que cela ne s’use trop vite. Là où le frottement était le plus important, sur la tranche des arceaux, il clouait une lanière de cuir en renfort. Enfin, il perçait la paille de seigle et la peau avec un fer rouge pour retrouver les trous des arceaux. « Ça sentait pas bon et les voisins parfois se plaignaient ».
Bât fabriqué par Jean Ros, Bourrelier à Puget-Théniers, Coll. Roudoule (2017-045)
Avant de livrer le bât, il graissait la peau avec de l’huile de marmotte qu’il achetait en bidon. « Avec deux ou trois doigts de poils, c’était difficile à passer ».
12. Portrait d’éleveurs
Yvette Buyse et Nicolas Guillaumot
« Je fais trois métiers. Je suis éleveur. Je suis fromager. Je suis commerçant. » Nicolas Guillaumot.
Installés depuis 2004, ils produisent à Saint-Martin-d’Entraunes fromages, yaourt et beurre. Leur troupeau d’une dizaine de vaches est composé de Tarines, de Montbeliardes et d’Abondances, fournit une gamme fromagère très inventive et en perpétuelle évolution. À déguster sur les marchés locaux.
Pascal Lelous
Installé en 1977, il élève une centaine de vaches de race limousine à La-Croix-sur-Roudoule. Autosuffisant en foin, il exploite divers pâturages entre la haute vallée du Var et celle de la Roudoule. Aujourd’hui, il souhaite diversifier son exploitation en produisant des porcs. Pascal Lelous est aussi président du Groupement de Défense Sanitaire des Animaux des Alpes-Maritimes (GDS06), dont l’action porte sur l’amélioration de l’état sanitaire des troupeaux ovins, bovins et caprins et la qualité des denrées animales proposées aux consommateurs. Il écoule sa production en vente directe.
La famille Gastaut À Ascros, la ferme de Serre Lions a évolué au fil des générations et des grandes mutations de l’élevage bovin. Marcel Gastaut produit du lait jusqu’aux années 1980. Confronté au déclin des coopératives, il se lance alors dans la fabrication du fromage et modernise son matériel. Son fils, Didier Gastaut, reprend l’exploitation et se passionne pour le métier. Dans un souci d’amélioration de l’Abondance – race qu’il élève, il pratique des contrôles de performance de la production laitière par vache, et adhère à l’Unité Nationale de Sélection et de Promotion de Race Bovine (UPRA). Avec une centaine d’animaux, sur une centaine d’hectares, la famille Gastaut produit aujourd’hui fromages, fourrages, cochons, ainsi que veaux de lait et génisses pour la viande. Et avec la reprise de l’exploitation par les enfants de l’éleveur, la transmission est assurée. La tome à pâte pressée demi-cuite produite sur l’exploitation peut être achetée dans les commerces locaux, ou directement à la ferme.
César et Nadia Gaydon Depuis les années 1980, César et Nadia Gaydon élèvent des vaches allaitantes pour la production de viande bovine. Avec une quarantaine de vaches de la race Charolaises à Entrevaux, ils exploitent les pâturages autour de Massoins, Thiery et Malaussène. À découvrir dans les bonnes boucheries.
Alfred Tardy
Dans sa ferme de la Haute-Bérarde à Saint-Martin-d’Entraunes, Alfred, poète à ses heures, se considère comme un berger. Il vous invite à déguster un fromage très crémeux qu’il a surnommé « le Suisse ».
Conception
- Philippe Thomassin, commissaire de l’exposition
- Pauline Mayer, ethnologue
- Flore Benisty, médiation numérique
Contributions et remerciements
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Ministère de la Culture,
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Conseil départemental des Alpes-Maritimes,
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Parc national du Mercantour,
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Mairie de Rigaud,
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Mairie de Roubion,
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Archives départementales des Alpes-Maritimes,
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Musée départemental des Merveilles, Tende,
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Maison-Musée du Haut-Verdon, Colmars-les-Alpes,
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Musée du lait, Saint-Etienne-de-Tinée,
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Société de Distribution du Sensible
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Gilbert Boulay,
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Yvette Buys,
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La famille Gastaut,
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Nadia et César Gaydon,
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Philippe Graglia,
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Nicolas Guillaumot,
-
Pascal Lelous,
-
Alfred Tardy.